Professeur d’hématologie au CHRU de Tours, le Professeur Philippe Colombat a successivement dirigé les services d’hématologie et d’oncopédiatrie, ainsi que le pôle de cancérologie-urologie. Ses travaux en faveur d’une meilleure prise en charge de la souffrance des soignants1 ont conduit le Ministère des Solidarités et de la Santé à nommer ce chantre du management participatif à la présidence de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social. Rencontre.

Par Joëlle Hayek

Hospitalia : Dans quel contexte avez-vous été amené à vous intéresser à la qualité de vie au travail des professionnels de santé ?

Pr Philippe Colombat : Tout commence en 1989, à ma prise de poste en tant que chef du service d’hématologie clinique au CHRU de Tours : j’y ai fait le constat de la souffrance des soignants et de ses répercussions sur la prise en charge des patients en soins palliatifs. Mon équipe et moi-même avons alors développé un modèle de management participatif reposant sur quatre piliers : les staffs pluri-professionnels pour favoriser les échanges entre les équipes et mieux identifier les besoins des patients, la démarche projet pour rechercher des solutions collectives en cas de difficultés, les formations internes aux services et le soutien aux équipes. Nous avons ensuite créé le Groupe de réflexion sur l’accompagnement et les soins palliatifs en hématologie (GRASPH) devenu en 2008 l’Association francophone des soins oncologiques de support (AFSOS), pour formaliser et surtout faire connaître ce nouveau concept.

Mais, malgré notre participation à des congrès et l’organisation de formations, la dynamique ne prenait pas : nos interlocuteurs étaient globalement intéressés mais, dans les faits, personne n’avait véritablement envie de se lancer.

H. : Vous n’en avez pas moins réussi, puisque votre modèle est désormais obligatoire pour les patients en soins palliatifs.

P.C : En 1998, j’ai rejoint la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) alors présidée par le Docteur Daniel d’Hérouville, qui a fortement participé à la diffusion de notre modèle de management participatif auprès des décideurs politiques et des tutelles. Cette mobilisation a été payante : la circulaire du 19 février 2002 a officialisé le concept de démarche palliative, tandis que celle du 9 juin 2004 l’a imposé dans tous les services de soins pour les patients palliatifs. En 2008, elle est devenue l’un des critères prioritaires d’accréditation des établissements de santé (mesure 13a), pour tous les services de soins et toutes les structures médico-sociales accueillant des patients en situation palliative. Malheureusement, bien qu’obligatoire, sa mise en place est loin d’avoir été généralisée.

H. : Vous avez entre-temps initié l’étape suivante. Pouvez-vous nous en parler ?

P.C : En 2008, j’ai quitté mon équipe de recherche en hématologie fonda- mentale pour devenir chercheur en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Tours. Mon équipe et moi-même avons ainsi pu démontrer que le modèle né dans le service d’hématologie clinique du CHRU de Tours avait un impact positif sur la qualité de vie au travail. L’an dernier, nous avons également démontré son lien avec la qualité des soins. Il s’agissait là d’une première mondiale : aucune autre publication ne s’était intéressée à cette corrélation à l’échelle d’un service de soins. Seule une étude américaine avait précédemment été publiée sur le lien entre qualité de vie au travail et qua- lité de la prise en charge, mais elle se basait sur un modèle organisationnel plus large, celui de l’établissement de santé. Notre approche relève, elle, du management de proximité ; nous sommes en effet convaincus que c’est à ce niveau que tout se joue.H. : Vos travaux ont en tous cas retenu l’attention des pouvoirs publics : en 2018, vous êtes nommé à la présidence de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social.

P.C : Créé le 2 juillet 2018 par la Ministre des Solidarités et de la Santé, cet Observatoire est l’une des trois composantes de la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT) des professionnels de santé, avec les travaux de médiation portés par Édouard Couty, et la mission nationale confiée à Magali Eymery. Il dispose de trois missions principales : recueillir des données quantitatives et qualitatives en matière de qualité de vie au travail, élaborer des préconisations et recommandations pratiques, et organiser un colloque annuel.

H. : Un an plus tard, où en est cet Observatoire ?

P.C : Le bilan est globalement positif. Le recueil de données s’est matérialisé dès janvier 2019 par la création d’un site Internet, régulièrement mis à jour et qui se veut le plus pragmatique possible. On y trouve des documents de référence, par exemple des textes règlementaires, des rapports, des enquêtes, une revue de la littérature ou des publications institutionnelles. Mais aussi des res- sources pratiques, comme des guides, des outils méthodologiques et des référentiels et préconisations.